GAS
L’humeur du Blues, l’essence des racines
Guitariste impressionnant, chanteur à la voix chaude, GAS (Gaspard Ossikian) ne joue pas du blues, il vit le blues, intensément, jusqu’à son paroxysme originel l Né à Erevan, en Arménie, et après avoir longtemps été le leader des Wanana Blues Blasters, GAS a accompagné des bluesmen tels que Don Ray Johnson, Nat Dove et Maurice John Vaughn.
Métissant le blues avec la musique de son pays natal, il réalise l’album indispensable de sa vie, celui qui plonge dans ses racines arméniennes et qui se nourrit de blues, deux références essentielles qui font de ce ‘Oriental Mood’ une oeuvre originale et grandiose.
Pourquoi as-tu réalisé un tel disque sur tes racines arméniennes ?
J'ai suivi mon instinct. Je savais que ça allait me plaire. Quand on joue le Blues depuis des lustres, ce n’est pas facile de s'éclater sur une autre musique. Et puis, bien qu’on m’y ait arraché, mes racines sont restées en Arménie, et n'ont pas pourri. Elles ont repris vie, et là-bas, je sais qu'il y a un bel arbre qui m'attend, et je suis le seul à connaître son emplacement. Il s'abreuve directement dans l'Euphrate et ....le Mississipi !
Cet album est plutôt bâti comme une atmosphère, celle de ton enfance ?
Oui ! Depuis mon arrivée en France, j'ai toujours gardé contact avec l'Arménie, car une partie de ma famille vie encore là-bas. J’y suis né. Je parle plutôt bien la langue. La diaspora arménienne, j’y suis venu tard, depuis une dizaine d’années à peu près, mais à vrai dire il y a toujours eu des arméniens de passage à la maison, chez mes parents.
Ton histoire est trempée dans le blues ?
Je considère que mon histoire, c'est celle d'un bluesman. Ma grand-mère maternelle fut esclave, vendue par les turcs aux arabes après avoir été enlevée de son village. Ma grand-mère paternelle eut la vie sauve grâce à un homme qui tua le turc qui allait lui trancher la gorge, son sauveur allait devenir son mari ! Mon père a été en taule, ainsi que mes oncles. Et puis les morts brutales de plusieurs membres de ma famille, flingués par les russes. Je ne veux pas m'approprier le Blues, il a été inventé par les esclaves noirs africains, mais depuis il a franchi les frontières, a voyagé et est arrivé jusqu'a mes oreilles.
Qu’est-ce qui a guidé tes choix dans les morceaux ?
En premier une photo, celle Marguerite Belekian, (Miss Margot) qui figure dans le livret du CD....
...Oui, une belle photo, émouvante !! Tu peux présenter cette ‘Miss Margot’ qui ouvre l’album ?
Elle s’appelle Marguerite Belekian et depuis ma tendre enfance, j’ai entendu parler de cette Miss Margot, dans la bouche de mes parents et des gens qui étaient autour de moi. Cette femme, née à Paris, s’est mariée avec un Arménien. Le couple a cédé à la propagande stalinienne qui exhortait, en 1947, la diaspora à revenir, puisque les arméniens étaient tous russes !!! Les soviétiques promettaient monts et merveilles, travail et maison, à ceux qui ‘rentraient’ au pays. On imagine cette Margot, mais aussi les milliers d’arméniens français, comme mes parents, qui ne se connaissaient pas encore, voguant vers la terre promise. 5000 français de la diaspora ont rejoint Marseille pour s’embarquer vers l’Arménie soviétique, ne la connaissant pas et découvrant toute l’horreur du mensonge stalinien... C’était un appel à toute la diaspora, celle des Etats-Unis, de l’Italie, de France, d’Espagne, de Syrie, du Liban, un vrai melting pot où chacun s’est organisé sur place, là-bas, un peu en fonction des nationalités, dans l’euphorie, au départ, très vite dans la désillusion. J’ai un vieux film, tourné par hasard par l’un de mes oncles et qui montre la joie des gens de retrouver l’Arménie, la terre de leurs ancêtres. Pour en revenir à cette photo de Miss Margot, on la voit tenant dans sa main droite le drapeau français et courir sur l'aéroport d’Erevan avec son fils en équilibre dans les bras pour le donner, espérant le sauver, au consul français en visite en Arménie. Avec en fond les manifestants dont mes parents faisaient partie. Cela ma inspiré, touché, ému...
Et pour les autres pièces de l’album ?‘Human Being’, une chanson universelle, ne pas avoir honte de ce que l’on est, ou comme on naît, et dont la traduction peut être à double sens : un être humain et être humain. Et puis nos rêves de vie meilleure, Tobacco Road. Avec les titres ‘Magic Mountain’ et ‘Ara’, c’est le Mont Ararat, lieu mythique arménien, désormais en Turquie, un symbole, une légende, (l'arche de Noé y aurait échoué). Et encore sur le génocide arménien...Et puis bien sûr les souvenirs qui ont construit ma vie, comme tout le monde...Musicalement, la présence des instruments folkloriques m'a poussé sur de nouvelles harmonies. Dans ‘Gugo's Boogie’ et ‘Miss Margot’ la mayonnaise a pris ! J'adore le coté festif de la musique et il faut que ça bouge, que l'on rentre en transe. J'ai essayé aussi en termes d'harmonies de donner un coté décalé : "Under The Moon" ou "Ara" ont des mélodies apaisantes, pourtant ce que je raconte dans ces chansons, c'est l'horreur ! C'est le Blues.
As-tu envie de poursuivre cette voie, entre blues et world ?
Cet album m'inspire d'autres chansons. Je pense encore utiliser des instruments folkloriques, et de leur transmettre un peu de culture blues, tant dans le jeu que dans le rythme. Ce sera encore plus festif, plus transe ! Et puis si j'ai le blues, il y a Donald Ray Johnson, Nat Dove, Maurice John Vaughn, je me ferai toujours un grand plaisir de les accompagner
Je n'ai pas abandonné le Blues, et lui, non plus, il est encore là pour longtemps... C’est le rythme ternaire pour le coeur, et binaire pour la marche en avant !
On connaît ta passion d'Hendrix. Tu offres une magnifique version du 'up from the skies' qui n'a pas pu échapper au fan que je suis !! Elle est à la fois subtile et vive, avec nappage de B3 et section rythmique coriace. Pourquoi l’avoir choisi ?
Comme toi je suis un fan de première heure d’Hendrix. Et cette chanson est une des déclinaisons du CD, cette impression de déjà vécu, une mémoire collective indélébile. Quand un peuple à souffert il y a une transmission génétique. J’y suis trop sensible et ‘Up From The Skies’, c'est ça ! Il y a des endroits que j'ai visités sur cette planète où j'ai eu le même sentiment qu’Hendrix. Les yeux de certaines personnes osaient me dire le cauchemar qu'ils avaient vécu ! C'est avec le recul, l'âge, la maturité, que je peux exprimer tout ça. Tous mes sens sont en éveil permanent, c'est parfois pesant. Cette chanson est musicalement intéressante, c'est du swing, j’aime la jouer. L'orgue B3 c'est un clin d'oeil à la version de Lucky Peterson. Lui aussi mine de rien, dans sa condition d'afro-américain, il a capté le truc, ça lui parle, c'est un Voodoo Chile aussi !
CD ‘Oriental Mood’ /Mosaïc Music
www.blue-gas.com
Francis Rateau